« Anéantir » de Michel Houellebecq, un roman testamentaire?

« Anéantir » de Michel Houellebecq, un roman testamentaire?

Michel Houellebecq, Anéantir, Paris, Flammarion, 2022.

Nouvelle année, nouveau format

Trois ans après Sérotonine, Houellebecq revient avec un nouveau roman, Anéantir (Flammarion), paru en librairie le 7 janvier 2022, date qui n’est pas anodine pour les Français. Nouvelle mise en scène de l’auteur, une sorte d’hommage ou simple coïncidence, le roman apparaît précisément sept ans après l’attentat de Charlie Hebdo qui coïncidait avec l’apparition de Soumission, roman qui traitait justement de l’extrémisme religieux. La pandémie semble ne pas avoir affecté son processus créateur car l’écrivain français se présente lors de la rentrée littéraire de l’hiver avec un texte de 732 pages et un tout nouveau format.

L’ensemble de son œuvre romanesque est en phase de republication chez Gallimard dans une édition beaucoup plus élégante. En tant que grand lecteur, Houellebecq aurait voulu voir ses romans sous une forme plus agréable pour la lecture, il se serait donc impliqué dans les choix des éditeurs, se prononçant sur beaucoup d’aspects, allant jusqu’à l’empagement en passant par le grammage du papier. En effet, il s’agit d’un bel objet, la couverture blanche a un aspect minimaliste, le titre, le nom de l’écrivain et de la maison d’édition sont écrits en rouge et en noir, sans majuscules. Le livre est beaucoup plus résistant grâce à la couverture cartonnée rigide et à la qualité du papier. Bien sûr, on ne pourrait pas passer outre qu’un tel fait contribue à la notoriété de l’écrivain français qui aime se distinguer. 

La France de 2027

A priori, Anéantir semble être un classique Houellebecq. Le roman commence dans une atmosphère morne, presque dépressive : « Certains lundis de la toute fin novembre, ou du début de décembre, surtout lorsqu’on est célibataire, on a la sensation d’être dans le couloir de la mort. Les vacances d’été sont depuis longtemps oubliées, la nouvelle année est encore loin ; la proximité du néant est inhabituelle. » (p. 11) Le protagoniste, Paul Raison, est un quinquagénaire qui occupe une haute fonction au ministère de l’Économie et des finances. Il partage son appartement avec son épouse, Prudence (oui, c’est une référence aux Beatles), mais avec qui il n’entretient plus des relations conjugales depuis une dizaine d’années. Comme la plupart de ses textes, il s’agit de nouveau d’un roman d’anticipation. L’action se passe dans un futur proche, en 2027, où Emmanuel Macron semble être à la fin de son deuxième mandat. L’intrigue se présente sous la forme d’un thriller politique qui nous fait entrer dans les coulisses d’une campagne électorale présidentielle. Le protagoniste est le conseiller d’un des candidats, Bruno Juge (Houellebecq est un bon ami du réel ministre Bruno Le Maire), présenté comme un ministre de l’Économie assez travailleur qui assure une certaine stabilité économique de la France. En même temps, quelques attaques informatiques terroristes bouleversent le pays et le monde et suscitent la confusion des services secrets  à qui  Paul essaye d’apporter son aide. 

« Mystique et clinique »

Au fur et à mesure qu’on avance dans le récit, le cadre socio-politique commence à s’estomper et la focalisation tombe plutôt sur la vie intime du protagoniste. Si au début on avait affaire à un mariage en déclin, l’action se poursuit, de manière surprenante chez Houellebecq, avec une sorte de réconciliation entre Paul et Prudence qui essaient d’apprendre à se retrouver. De beaux passages sur l’amour prouvent combien l’auteur peut être aussi lyrique parfois : « Est-il vrai qu’on ne change pas, même physiquement, pour des yeux aimants, que des yeux aimants sont capables d’annihiler les conditions normales de la perception ? Est-il vrai que la première image qu’on a laissée dans les yeux de l’aimée se superpose toujours, éternellement, à ce qu’on est devenu ? » (p. 136)

Ce rapprochement entre les deux est dû aussi à la tragédie à laquelle se confronte la famille du personnage, l’attaque cérébrale de son père. La famille se regroupe devant ce drame afin de lui faire face. Dès lors, l’histoire de famille se développe sur plusieurs plans : Cécile, la sœur de Paul, est une fervente catholique qui essaie de lutter contre le manque de ressources de sa famille, quant au troisième frère, Aurélien, il mène une vie misérable à côté d’une femme et d’un enfant qui ne l’aiment pas. 

Anéantir ne s’éloigne pas tellement des lieux communs de l’écriture houellebecquienne. Dans la première partie du roman, l’auteur aborde les thèmes classiques comme le capitalisme, le monde du travail et la politique, tout cela dans un style néo-naturaliste et polémiste qui lui est propre : « l’Europe dans sa totalité était devenue une province lointaine, vieillissante, dépressive et légèrement ridicule des États-Unis d’Amérique » (p. 603). Quant à la deuxième partie, à travers ces retrouvailles familiales, Houellebecq se propose plutôt de dépeindre la misère affective des personnages, les failles des relations humaines et le manque d’amour généralisé. 

Une bonne partie du roman se déroule dans des hôpitaux et des EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) ce qui témoigne des obsessions actuelles de l’écrivain : la vieillesse, la dépression, la maladie et la mort. Ce regard clinique posé sur le monde était déjà présent dans ses romans précédents, seulement des titres comme Les particules élémentaires (1998) et Sérotonine (2019) attestent sa préoccupation pour le champ scientifique et médical. D’ailleurs, à la fin d’Anéantir,Houellebecq remercie les médecins qui l’ont initié dans ce domaine en prévision de l’écriture de ce livre. 

Cet aspect ne l’empêche quand même pas d’explorer des dimensions plus mystiques. Les attaques terroristes sont mises en relation avec un réseau d’activistes fondé sur une tradition occulte. Houellebecq est fan de romans policiers (le protagoniste lit d’ailleurs l’intégrale d’Arthur Conan Doyle et d’Agatha Christie), il aime jouer avec les cryptogrammes et sa passion pour le Moyen-Âge le rapproche de ce point de vue d’un Umberto Eco. En même temps, les personnages féminins principaux, Prudence et Cécile, sont chacune associées à une religion. Si Cécile est une catholique qui frôle le bigotisme parfois, Prudence est adepte de wicca, mouvement religieux qui prône le culte de la nature et des déesses comme Hécate et Gaïa. Des questionnements métaphysiques reviennent à plusieurs reprises dans le roman, la problématique de la foi et du néant préfigure dans le le titre. Bruno Viard (Unité de Michel Houellebecq) parlait de ce caractère à la fois « mystique et cynique » de l’écrivain qui, sûr de l’inexistence de Dieu, ne semble pas abandonner l’idée d’un salut possible à travers d’autres formes de spiritualité ce qui serait une possible clé d’interprétation de la fin du roman.  

Le roman testamentaire

Les traces d’un Houellebecq provocateur persistent même dans ce huitième roman, pourtant la touche est beaucoup plus apaisée que de coutume. Le ton est moins ironique et détaché, on ressent une forme de pathétisme vers la fin et l’auteur éprouve de l’empathie envers son protagoniste. Serait-ce peut-être le signe d’un dépassement de ce cynisme qui lui est caractéristique ou alors une sorte de réconciliation avec le monde?  Le destin de Paul Raison qui arrive à rétablir des relations authentiques avec la femme aimée et avec des membres de sa famille pourrait confirmer cette hypothèse. Enfin, malgré la fluidité de l’écriture et le style assez plat, Anéantir reste un roman dense qui explore de multiples dimensions de la société contemporaine et qui prouve encore une fois combien Houellebecq sait sonder l’actualité en fin observateur qu’il est, car « [on] a beau mépriser, et même haïr, sa génération et son époque, on y appartient qu’on le veuille ou non, et on agit conformément à ses vues. » (p. 675)

Maria Simota

Fotografie Copertă © Johnston Miles

Echinox

Echinox este revista de cultură a studenţilor din Universitatea „Babeş-Bolyai”. Apare din decembrie 1968.

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